Est-ce bien raisonnable de se taper un(e) autochtone en voyage ?

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Les voyages forment la jeunesse, votre grand-mère vous l’a encore dit l’autre jour, avachie dans son increvable fauteuil en velours, les mots-croisés de Télé Loisirs à la main. Mais réfléchissez bien : cette Indienne tout droit sortie de Bollywood que vous avez galochée comme si votre vie en dépendait vous a t-elle beaucoup appris sur son pays ? Et cet Argentin, qui montait à cheval comme personne et qui savait cuire la viande à la perfection vous a t-il vraiment conté l’histoire de sa patrie ?

 

En voyage, on se permet tout, même l’impensable. Et quand l’impensable prend la forme d’une jeune autochtone bronzée en bikini ou d’un sublime barbu en tenue de cowboy, alors là tout bascule. Vous vous imaginez l’espace d’un instant, le visage buriné par le soleil et les cheveux (gras) perpétuellement au vent, dominant d’un regard amoureux le ranch patagonien qui vous tient désormais lieu de demeure. La bride de votre pur sang dans une main, celle de Roberto dans l’autre, vous songez à ce que serait votre vie (pourrie) si vous étiez rentré(e) à Paris pour signer ce maudit CDI. Redescendez donc sur terre.

 

En vous tapant le bon vieux local de l’étape vous délaissez votre bande de potes qui se fadent les visites tous seuls, aux heures de pointe et au milieu des cars de touristes japonais. Vous qui passez vos journées au pieu à apprendre l’espagnol de la pampa ou le malayam du Kerala, vous ratez à peu près tout ce que vous étiez venu(e) chercher dans le pays. Tant pis pour le Perito Moreno, il mettra sans doute plusieurs dizaines d’années à disparaître. Au diable Bombay et ses rickshaws, vous y reviendrez bien un jour. Les jambes fourbues, l’œil hagard et les cheveux (gras) emmêlés, vous tirez un trait sur tout, sauf sur Roberto(a). <3 <3 <3 <3 Cœur avec les mains et besoin d’aérer la chambre.

 

De leur côté, vos potes commencent à vous détester car vous foutez en l’air le savant périple qu’ils ont élaboré des heures durant, dans leur salon, avant de partir. Ils maudissent Roberto(a), et vous laissent en plan, en vous souhaitant bonne route avec votre amant(e).

Tout à coup, vous vous sentez (seul)e. Désespérément seul(e). Exténué(e) par une énième cavalcade fantastique sur votre indien(ne) intouchable, vous attrapez votre iPhone 6 pour checker Facebook. Vos potes postent des photos d’eux un mojito à la main. Ils sourient. De votre côté, Roberto vous ennuie, sa barbe vous pique et ses bottes pleines de boue patagonienne salissent la chambre de votre hôtel. Pas question de lâcher en plus une caution pour payer le nettoyage. À force de perdre son bronzage, Alisha n’est plus si jolie que sur la plage de Kochi. Désemparé(e) et esseulé(e), vous tentez de vous réfugier dans les bras de votre bien aimé(e). Erreur : vous ne comprenez pas un traître mot de ce qu’il ou elle vous raconte et votre cœur ne crie plus braguette.

 

Vous courez alors à la réception pour essayer d’appeler l’hôtel dans lequel logent vos potes. Une, deux, trois sonneries. Ils répondent. Ils vous attendent à Ushuaïa pour partir voir les manchots. Faute avouée à moitié pardonnée. Vous filez. Namaste.

 

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La rédaction

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