Est-ce bien raisonnable d’apprendre la langue du pays avant de partir ?

Cette année vous vous l’êtes juré : pas question de vous retrouver le bec dans l’eau turquoise au moment de commander des caïpis sur la plage de Recife. Vous parlerez portugais, un point c’est tout. Alors, comme pour chacune de vos nouvelles lubies activités, vous foncez tête baissée dans la bataille. Qu’importe si vous n’avez pas encore acheté votre billet d’avion, vous avalez les chapitres de votre méthode Assimil plus rapidement que les sakés lors de vos vacances au Japon.

 

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Chaque soir en rentrant du boulot, confortablement installé(e) dans votre voiture coincée dans les embouteillages, vous récitez, tel un élève de CP option portugais, les verbes être à avoir au présent de l’indicatif. Une fois vos devoirs accomplis, vous vous laissez bercer par le Best Of spécial musique brésilienne de Nova que vous avez acheté en même temps que la méthode Assimil (vous aviez des chèques-cadeaux à utiliser à la FNAC). Douceur de vivre carioca. Bruits des glaçons qui s’entrechoquent dans le mojito. Saudade. Mais est-ce bien raisonnable d’apprendre la langue du pays avant de partir en voyage ?

Loin de Gizèle l’idée de dénigrer votre don pour les langues et votre goût immodéré pour l’apprentissage sous toutes ces formes, mais force est de constater qu’il n’y a rien de plus énervant qu’un touriste persuadé de maîtriser la langue du pays dans lequel il séjourne. Baragouinant un audacieux vocabulaire tout droit sorti d’un manuel d’école (« Where is Paul ? Paul is in the kitchen »), vous voilà plongé(e) dans une langue que vous étudiez jusqu’à présent à l’abri des regards. Et là, le drame survient : personne ne vous comprend.

Et là, le drame survient : personne ne vous comprend.

Gizèle se souvient de cette fois, où après des mois d’espagnol intensif (et solitaire), elle s’est envolée pour l’Argentine, convaincue de ne faire qu’une bouchée des empanadas et de la langue de Borges. Que dios, no ! Sitôt arrivée à l’aéroport, la verve folle et le verbe facile, elle a voulu commander un taxi en jargon local. Humiliation suprême : le chauffeur lui a répondu dans un anglais parfait qu’il ne comprenait rien à cet espagnol de m.. Sachez-le : se faire répondre en anglais est LA HONTE ABSOLUE. C’est la preuve irréfutable que vous ne parlez pas un traître de mot de la langue du pays et qu’il vaut mieux remballer tout de suite vos 67 leçons Assimil (vous n’avez pas fini le bouquin, persuadé(e) d’apprendre le reste sur place, avec vos potes locaux).

Si comme Gizèle, vous êtes un jour contraint(e) de troquer la langue de Borges contre celle de Shakespeare, vous ferez sans doute comme 80% des personnes normalement constituées : vous vous bornerez à apprendre les insultes les plus trash du pays dans lequel vous vous trouvez. C’est même comme ça que des années plus tard, alors que vous venez de faire tomber votre stylo Bic, vous lâcherez un sonnant et trébuchant «Dirty cock s*cker ! » à vos investisseurs américains, médusés devant l’obscénité de vos propos.

Car il y a deux règles à connaître en matière de langues étrangères et de voyage : la première, c’est qu’on ne saisit jamais assez la portée d’une insulte si l’on ne parle pas parfaitement la langue et si l’on ne s’est pas fondu(e) dans la population locale au fil des années. Deuxième règle : les insultes en langues étrangères vous resteront en mémoire quand vous aurez tout oublié. Même votre propre identité. Pire, ce sont celles-là et elles seules que vous sortirez à tout bout de champ quand vous bavasserez entre potes à la maison de retraite, un sudoku à la main. Alors faites gaffe, hijos de puta : les insultes sont des casseroles que vous traînez à vie derrière votre déambulateur.

 

Rassurez-vous : une fois sur deux, vous ne partirez finalement pas en voyage. La méthode Assimil est l’achat compulsif que l’on s’autorise au moment de décider où passer ses vacances. C’est une acquisition que l’on fait souvent avant même d’avoir acheter ses billets d’avion. Résultat : au moment de changer d’appart’, de déménager ou de simplement faire un peu de rangement, vous prendrez la mesure de vos lacunes linguistiques. Vous vous retrouverez devant ce carton ou cette étagère remplie de méthodes de langues parlées dans des pays que vous n’avez au final jamais visités. Ostie, quel gâchis.

La rédaction

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