Est-ce bien raisonnable de dévaliser un magasin de sport avant de partir en voyage ?

En voyage, Gizèle a un grand jeu : reconnaître la nationalité des autres touristes. Et c’est souvent plutôt facile : les Allemands portent des chaussettes sous leurs semelles à scratchs, les Australiens flottent dans un marcel siglé du logo de la bière locale et les Chinois voyagent en pyjama. Ne vous moquez pas trop vite car les Français, aussi, se distinguent en un coup d’œil : grâce à leur sac à dos et leur vêtements techniques flambant neufs. Soyons honnêtes, la session shopping dans un magasin de sport est un incontournable sur la to do list des vacanciers que nous sommes. Mais est-ce bien raisonnable ?

 

tumblr_mb80vmskDZ1rhecwzo1_1280

 

Le jour du grand départ au Chili approche. Conscient de vos lacunes en matière de vêtements « techniques », vous foncez acheter cette fameuse polaire premier prix qui vous sauvera la vie en altitude. Sauf que quelques minutes après avoir franchi la porte du magasin, vous êtes pris d’une incontrôlable fièvre acheteuse. Vous ne comptiez passer que cinq minutes dans le magasin mais vous voilà en train d’arpenter frénétiquement chaque rayon. Vous comparez le grammage des textiles, lisez chaque notice explicative et devenez incollable sur les propriétés de l’élasthanne et du polyester. L’achat d’une banale paire de chaussettes devient plus technique que l’adoption d’une directive européenne. Alléché par les promesses des fiches-produits, vous décidez de vous racheter une panoplie de baroudeur de la tête aux pieds.

Assailli par le doute sur l’achat d’une paire de chaussures de marche, vous demandez conseil à un vendeur. Sa réponse, vous la connaissez d’avance. Cette phrase qui fait vibrer votre âme d’aventurier et trembler votre banquier : « A votre place, je prendrais vraiment le modèle au-dessus. C’est peut-être cinquante euros à mettre en plus mais ça vous suivra toute votre vie ! ». Il n’a même pas le temps de prononcer le mot “increvable” que les rutilants souliers sont déjà dans votre panier.

 

Vos poumons pourraient arrêter de fonctionner, même vos chaussures sont « respirantes »

Trois heures plus tard, vous passez enfin en caisse. Exténué, vous attrapez au passage une barre de céréales et une boisson énergisante pour vous remettre d’aplomb. Félicitations, le compte est bon : avec cet achat in extremis vous venez pile-poil de dépenser la même somme que pour votre aller-retour à Santiago. Vous avez oublié d’acheter la polaire mais qu’importe ! Vous rêvez déjà d’utiliser votre ravissant cache-col hydratant, cette incroyable gourde à écran tactile, la tente qui marche toute seule ou encore ce sifflet anti-ours. Pas le temps de souscrire à la carte de fidélité du magasin, l’aventure vous appelle !

Flash forward. Trois semaines et 13 000 kilomètres plus tard, vous voici enfin en Patagonie au sud du Chili. Prêt pour une grande épopée : le trek du W, cinq jours de marche intensive en petit groupe dans un décor du bout du monde. Une randonnée réputée difficile. Mais rien ne peut vous arrêter. Grâce à votre équipement, vous êtes à la frontière entre le voyageur et le cyborg, un pionnier du transhumanisme. Vos poumons pourraient arrêter de fonctionner puisqu’il paraît que même vos chaussures sont « respirantes ».

C’est au moment de faire la connaissance de vos compagnons de route que vous commencez à déchanter. Ils vous scrutent comme une bête de foire et se moquent ouvertement de vos gadgets qui vous ont coûté un bras. Chacun y va de sa petite pique, surtout Hans, ce jeune roots allemand qui va devenir votre bête noire. Crinière de dreadlocks, sarouel et t-shirt troué, Hans est votre exact opposé, votre némésis. Pour garder la face, vous allez tout faire pour le devancer à chaque étape et lui démontrer obstinément l’efficacité de votre attirail.

Résultat, au fil des jours, vous êtes de plus en plus isolé du groupe. Même le guide chilien en poncho sans âge se permet de vous balancer des vannes dans un anglais approximatif quand vous essayez de le dépasser. Plus la randonnée avance, moins vous profitez des paysages. Ce qui devait être une formidable aventure humaine se transforme en compétition acharnée digne d’une télé-réalité.

Le dernier jour, catastrophe. Votre GPS alimenté à l’énergie solaire tombe en rade à cause d’un méchant nuage. Vous vous perdez et finissez par arriver en sueur et en pleine nuit, deux heures après le reste du groupe. Tout le monde vous attend autour du feu de camp. Hans vous nargue la clope au bec. Même si un trou commence à percer au bout de sa chaussette, il faut vous rendre à l’évidence : il a été plus rapide que vous malgré sa vilaine paire de tongs. De rage, vous bazardez ces chaussures sensées vous suivre « toute une vie ». Vous vous sentez encore plus humilié qu’après l’élimination de l’équipe de France lors de la dernière coupe du monde. Allemagne 1 – Vêtements techniques 0.

La rédaction

Retrouvez tous les "Est-ce bien raisonnable ?" de Gizèle ici.