Est-ce bien raisonnable de partir au ski entre potes ?

Nous sommes mi-décembre, les premières neiges sont tombées et les yeux rivés à votre écran d’ordi, vous contemplez les photos de vos potes chaussés de ski sur les réseaux sociaux. Les commentaires envieux achèvent de vous foutre le cafard et vous décidez d’y aller de votre petite phrase assassine sur le pourcentage ahurissant de tétraplégiques après un accident de ski. Vos copains vous répondent «  Tu viendras avec nous la prochaine fois ? ». Pris de cours, vous décidez de tomber le masque de ski en répondant oui. Trois mois plus tard, vos amis mangeurs de poudreuse ont tenu leur promesse : demain ils vous embarquent avec eux pour une virée sur les pistes des Alpes. Pourtant, loin de vous submerger d’une avalanche de pensées positives, ce séjour vous ensevelit sous une montagne de doutes. Après tout, est-ce bien raisonnable de partir au ski entre potes ?

Sitôt arrivé « en station », comme disent les habitués, vous furetez dans l’appart de loc’ à la recherche d’un étage supérieur. Vous ne vous doutez pas que vous venez de saisir le principe même d’un séjour au ski : l’entassement à 8 personnes dans un studio hors de prix de 30 m2. Bientôt, le sol tout entier est jonché de valises et de neige fondue. Après avoir mis un quart d’heure à enfiler l’intégralité de votre équipement flambant neuf, vous prenez une décision : vous garderez vos chaussures de ski et votre combinaison pour dormir. Déjà, vous gagnerez de la place. Ensuite, vous perdrez moins de temps. Et puis, cela vous évitera de vous tremper dès que vous poserez le pied par terre. Après cette prise de conscience, vos potes semblent pris d’une frénésie inexplicable et il vous exhortent à vous dépêcher de les suivre. Vous comprenez alors que les « vacances » au ski n’ont de « vacances » que le nom. Voilà que vous allez vous lever à 8 heures chaque matin pour enchaîner 6 heures de sport intensif. Pris de panique, vous avalez votre tube de vitamine C et un Balisto et vous foncez les rejoindre.

16h, tombée de la nuit. La voix éraillée à force de chanter Étoile des Neiges « Juste pour la blague» sur le télésiège et après cette journée passée à pleurer au milieu de la piste noire que vos amis insistaient pour descendre, vous rentrez au studio transi de froid. Vous êtes d’autant plus indisposé par l’odeur de pieds qui règne dans l’appartement que vous êtes le seul à ne pas avoir enlevé vos chaussures. Vous filez prendre une douche froide (le ballon d’eau chaude est vide, lui non plus n’était pas préparé à ça) en attendant le dîner.

Quand vous sortez de la salle de bain, une odeur douceâtre s’est mélangée à celle des pieds de vos amis. C’est la tartiflette qui dore dans le four. Vous vous dites que le principe d’un séjour au ski, c’est en fait de s’entasser à 8 personnes dans un studio hors de prix de 30 m2 qui pue les pieds et le fromage. Aidé par le vin blanc, vous sombrez pourtant lentement dans la douceur de l’instant. L’ivresse vous va si bien, vous profitez. Quand vos potes lancent un « Et si on allait au Macumba ?», vous êtes chaud comme une baraque à frites au pied des pistes. D’ailleurs, l’écriteau à l’entrée « chaussures de ski acceptées » vous rassure au lieu de vous angoisser. Les premiers sons de Happy de Pharrell Williams et l’improbable enchaînement avec La Macarena vous donnent des envies de déhanchement irrésistible. Vous descendez des dizaines de verres et sortez de là, ivre et heureux, à 5h du matin.

Le lendemain, grâce à votre combinaison, vous avez sué tout l’alcool et le reblochon que vous aviez dans le corps et vous êtes le premier à émerger pour dévaler les pistes. Vous suppliez vos potes de se lever pour venir avec vous. Dans la queue du télésiège, vous saluez les familles bruyantes et les couples trop bronzés d’un geste de la main et vous vous fendez même d’une bise à Cindy, la monitrice que vous avez draguée hier en plein GanGnam Style. Vous comprenez que le principe d’un séjour au ski, c’est en réalité de s’entasser à 8 personnes dans un studio hors de prix de 30 m2 qui pue les pieds et le fromage et d’adorer ça. Vous fredonnez La Macarena et vous vous débrouillez pour être à côté de Cindy sur le télésiège. Le soleil est radieux, vous jubilez.