Est-ce bien raisonnable de partir en voyage avec votre nouvelle conquête ? 

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Vos potes moins amoureux (et plus blasés) que vous, vous le répétaient sans cesse : « Attends de partir en voyage avec lui/elle, et tu verras vraiment si votre couple tient la route. » Mensonge et exagération. Depuis six mois, la vie n’était qu’éternelle jouissance et plaisir d’être ensemble. Lentement mais sûrement, l’été arrivait. Qu’importait l’avis de vos amis, la décision était prise : vous partiriez ensemble sur les routes indiennes, pour découvrir la beauté du Gange et les délicieuses sonorités de l’hindi. En rickshaw, Simon(e), c’est toi qui conduis, c’est moi qui klaxonne.

 

À l’évocation de votre périple dégoulinant d’amour sauce curry, vos potes (toujours blasés), commençaient sérieusement à s’inquiéter. Leur jugement était sans appel : « Ne pars pas, ton couple ne survivra pas à « ça » ». Ah les malheureux, vous disiez-vous, n’avaient-ils donc jamais connu l’amour ?
En attendant « ça », vous et votre moitié comptiez les jours qui vous séparaient de votre lune de miel. C’est main dans la main que vous écumiez les magasins de sport à la recherche du sac à dos parfait, celui que vous trimballeriez ensuite nuit et jour pendant un mois, de train en train, de route en route. Et c’est ensemble, conquérants, que vous entriez dans les pharmacies du quartier pour faire vos provisions d’Imodium© et de Malarone©.

 

Sentez-vous venir la conclusion tragico-amoureuse de cet article ? Toujours pas ? Bien, restez encore un peu avec Gizèle, alors.

 

Vint le moment tant attendu du départ. Leggins et t-shirt 100% confort enfilés, vous voilà enfin dans l’avion. En pyjama, donc. Et c’est une des premières caractéristiques du voyage en couple. Alors que vous vous efforcez l’un et l’autre de faire attention à vous depuis six mois, ce vol pour Delhi va venir bousiller tous vos efforts. Vous voilà donc côte à côte en « tenue de maison », blottis dans une couverture une place, à attendre patiemment que l’avion décolle. Une fois partis, c’est dans un silence monacal que le vol se poursuit. Plus question de bavarder, place à Sylvester Stallone dans son dernier opus : « Du plomb dans la tête ».
Là encore, alors que vous passiez vos nuits à vous raconter tous ces petits détails sur votre enfance, votre conception de la vie et vos styles musicaux préférés, vous voilà tous les deux les yeux désormais rivés chacun à votre écran, sur votre siège, en train de regarder votre film. La douce bulle individualiste des voyages en avion se referme lentement sur vous, créant un premier fossé dans votre vie à deux. Ce ne sera pas le seul de ce périple, rassurez-vous.

Douze parties de Street Fighter, trois films à l’eau de rose et un album de Louis Amstrong en boucle plus tard, vous voilà enfin en Inde. Ce n’est pas votre premier séjour sur place, et vous rivalisez d’efforts pour montrer votre connaissance du terrain. Problème : si en quelques mois, votre idylle vous a littéralement transformé(e), l’Inde elle, n’a pas changé depuis la dernière fois. Il fait moite, les gens crient et au bout de trente minuscules secondes, vous êtes en sueur, et toujours en pyjama. C’est le début de la lente transformation de votre couple.
Viendront ensuite les disputes pour savoir s’il faut aller à droite ou à gauche du carrefour que vous avez déjà emprunté dix fois en deux jours. Disputes exacerbées par le port permanent du sac de 30 kilos que vous avez acheté avant de partir et par la chaleur, qui semble comprimer votre cerveau et celui de votre conjoint(e).

 

Pour dire les choses comme elles sont, si fumer augmente de 60 % les risques de cancer dans les vingt prochaines années, voyager en couple, aussi fusionnel soit-il, augmente de 80 % vos chances de rompre au retour. Songez-y avant de vous allumer cette clope postcoïtale et d’acheter un billet d’avion.

 

Mais revenons à nos vaches sacrées. Une fois dans la nature, loin de la ville, de ses klaxons et des pointes d’agacement que vous ne soupçonniez pas chez votre cher(e) et tendre, votre idylle repart de plus belle. Vous vous aimez à nouveau comme au premier jour. Vous riez aux éclats. Vous passez la matinée sous les draps et commandez des gigantesques lassis à la mangue au petit déjeuner. Vision de Grèce antique. Langueur exotique. Depuis ce court passage par Delhi, vous avez compris une chose : l’être cher n’est pas parfait mais vous l’aimez, un point c’est tout.
En début d’après-midi, vous vous décidez enfin à sortir de votre chambre, rassasiés. Les jambes encore flageolantes, vous filez en Royal Enfield de location sur les routes indiennes quand soudain, le cauchemar recommence. Une vive douleur vous transperce le ventre et une goutte de sueur perle lentement le long de votre front. Par expérience, vous le savez : c’est le début de la fin. Celui qui va vous faire regretter votre matinée au lit, vous dégoûter à tout jamais des lassis et vous condamner à vous nourrir exclusivement de riz blanc pendant des jours. Voici venue la hantise du voyageur. La sanction du gastronome en villégiature. Vous tentez en vain de retenir votre respiration, de vous relaxer, de ne plus y penser. Mais la turista a ses raisons que la raison ne connait pas. Il vous faut courir au plus vite dans le fossé. Qui se creuse encore et encore. Vous plantez votre douce moitié au milieu d’une route déserte et silencieuse. Horreur.
Vous comprenez enfin ce « ça » dont vous parlaient vos potes. Vous vous dites que vous auriez évidemment dû les écouter. Vous vous tordez de douleur. Sous le regard plein de pitié et de compassion de votre conjoint(e), vous multipliez les allers-retours dans le fossé. Sensation de vide sous vos pieds. Vous repensez à cette fois où aux petits cabinets de l’école maternelle, Camille R., votre partenaire de trap-trap bisous a ouvert la porte sans savoir que vous étiez à l’intérieur. Réminiscence. Vous pleurez. Comme avec Camille, rien ne sera plus jamais comme avant après « ça ».

 

Trois semaines plus tard, de retour en France avec cinq kilos en moins et une otite en plus (avion oblige), vous attendez la sentence sur votre canapé, comme un(e) condamné(e) à mort. Mais rien n’arrive. Votre moitié vous aime encore. Et aimera encore voyager avec vous. Comme la turista, le cœur a ses raisons que la raison ignore. Ensemble, vos mains serrées contre la trousse à pharmacie, vous avez passé le baptême du feu. Vous vous faites alors une promesse : vous allez faire votre vie ensemble. Et vous achèterez un chien que vous appellerez Lassie.

 

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crédits : A.B.

La rédaction

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