Est-ce bien raisonnable d’avoir laissé nos smartphones remplacer les cybercafés ?

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Votre pied tapote le carrelage d’énervement. En rythme avec le bruit obsédant du maigre ventilateur pendu au plafond. Votre doigt tapote la souris d’énervement, en rythme avec votre pied,  avec le ventilateur obsédant, avec le tac-tac-tac venant de l’ordinateur maltraité de votre voisin, adolescent aux yeux rougis par des heures de mitraillage dément sur un Call Of Duty cracké. Vous rechargez 50 fois la page d’accueil de Hotmail, qui vous a lâché quand vous tapiez la dernière lettre de votre mot de passe, piqué dans le refrain de votre chanson préférée de Tryo. Pile quand vous étiez sur le point de savoir si vous aviez enfin eu une réponse à ce mail. Celui où vous lui disiez, à lui ou à elle, avec qui vous flirtez depuis des semaines à la sortie de l’amphi, timidement, trop timidement, engourdi par plein de résistances intimes, terrassées depuis par le jet-lag et l’euphorie du dépaysement : « J’ai bien réfléchi pendant ce voyage, j’ai envie qu’on se voie dès que je rentre ».

 

Des années plus tard, votre pied tapote toujours le carrelage d’énervement. En rythme avec le bruit obsédant du maigre ventilateur pendu au plafond. Votre doigt tapote désormais votre smartphone d’énervement, en rythme avec votre pied et avec le ventilateur qui n’en finit plus d’être obsédant. Son petit écran reste désespérément blanc, avec une petite roue qui mouline. Les temps ont changé. L’ordi déglingué du cybercafé a fait place à un smartphone ultramoderne. Et pourtant, ça ne fait toujours que mouliner, comme les « géants » devant Don Quichotte. Pile quand vous étiez en train d’actualiser Facebook. Quand vous alliez savoir si votre dulciné(e), avec qui vous flirtez ouvertement depuis des semaines, avait « liké » la photo de vous perché sur un éléphant, les yeux dans le lointain. Mi-marrant(e), mi-aventurier(e), mi-désinvolte, mi-ridicule. Bordel, c’était pourtant marqué dans le Lonely Planet, dans le petit paragraphe sur la Backpacker’s Paradise Guesthouse : « Wifi ».

« WIFI » : quatre lettres magiques qui, en quelques années, ont remplacé les cybercafés où on allait se crasher une heure ou deux, dans l’espoir souvent déçu d’une reconnexion éphémère avec ce monde qui ne nous manquait pas tant que ça (mais un peu quand même). Une parenthèse dans notre voyage, histoire de voir si la troisième guerre mondiale n’avait pas commencé, si Tonton avait envoyé dans un grand mail commun familial une photo du nouveau-né de notre cousine, ou si Paris avait battu Marseille en quarts de finale de Coupe de la Ligue. En 2015, le nez sur notre smartphone, on ne profite plus du faible débit du cyber pour voir des ados du fin fond de l’Indonésie pouffer devant du porn soft. On n’admire plus ceux qui tentent de la drague Facebook à coups de demandes d’amis frénétiques. On a plus d’improbables voisins de cybercafé : la Hollandaise en sarouel qui se réserve des billets d’avion sur une compagnie intérieure blacklistée pour le lendemain, l’amoureux transi qui rédige à sa chère et tendre des mails aussi longs que la distance qui les sépare.

Est-ce que ça nous sert vraiment à quelque chose de nous demander, 5 minutes après notre arrivée dans chaque hôtel, si « y’a du Wifi ici ? » On était bien dans cette parenthèse, protégés du tumulte du voyage par l’atmosphère blafarde d’un cybercafé éclairé aux néons, à se reconnecter pour mieux, ensuite, se déconnecter. Et replonger une fois sorti(e), entier(e) et riche de maigres mais précieuses nouvelles, dans l’inconnu et l’exotique. Comme le marin qui repart en mer après une escale, heureux d’avoir demandé à sa prostituée régulière locale si elle avait la syphilis ou pas.

 

Ok, on en rajoute un peu, c’est vrai. Et puis on n’est pas obligé d’emmener son smartphone en voyage. On n’est même pas obligé d’en avoir un. Mais c’est qu’ils nous manquent un peu, ces cybercafés pas plus cyber que café. Ceux où, systématiquement, la connexion, lente, hachée, inefficace, énervante, finissait par lâcher, pile au moment capital où il ne…[ERROR SYSTEM]

La rédaction

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