Ata Macias, l’homme qui règne sur les nuits de Francfort

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  • 1/4 Ata Macias au Club Michel, Francfort

  • 2/4 Le Robert Johnson, ©DR

  • 3/4 Extrait du Robert Johnson Book, ©DR

  • 4/4 Extrait du Robert Johnson Book, ©DR

On dit de toi que tu es l’homme aux mille casquettes, peux-tu nous décrypter ton parcours ?

Je suis né et j’ai grandi à Francfort. Plus jeune, j’ai d’abord ouvert un magasin de disques en ville qui s’appelait « Le Delirium ». Je l’ai gardé 10 ans puis j’ai eu envie de faire autre chose. En parallèle, je m’intéressais à la musique électro et je mixais quand j’en avais l’occasion. J’ai toujours beaucoup aimé ça. J’ai ensuite créé un concept store du genre de celui de Colette, à Paris. Puis ça m’a lassé et j’ai décider de me consacrer tout entier à la musique en ouvrant le Robert Johnson, en 2004. 10 ans après j’ai eu envie de me tourner aussi vers la bonne bouffe et j’ai fondé un café juste en bas de chez moi, le Plank et un resto, le Club Michel. Tout ça dans ma ville, à Francfort ! J’ai préféré faire des choses ici plutôt que de partir m’installer à Berlin, comme on fait pas mal de mes potes. Au final, ils en sont souvent revenus avec un goût amer dans la bouche. Oui, c’est grand, oui, il y a plein de trucs qui se passent mais justement : le problème, c’est qu’il y a trop de trucs qui se passent. À Berlin, tu te retrouves vite noyé dans la masse. Ici, à Francfort, tu peux construire quelque chose de stable et de durable. C’est une approche différente de la fête.

 

Comment as-tu eu l’idée de fonder le Robert Johnson ?

Je mixais un peu partout en Europe et les lieux étaient toujours les mêmes : tu arrivais, tu descendais des marches, tu débarquais dans un sous-sol mal éclairé, avec des effets de lumière dégueulasse puis tu entendais de la musique. Je me suis dit qu’il fallait créer un club différent. Le Robert Johnson, c’est l’exact opposé de tout ça: tu es au bord de l’eau, tu montes un escalier au lieu de le descendre, tu arrives dans une pièce avec une baie vitrée qui donne sur une énorme terrasse face à la rivière Main et le Dj est posé là, à ta hauteur. Il y a une vraie connexion entre le public et les artistes qui mixent. La déco est minimaliste : il y a juste quelques télés posées les unes à côté des autres qui diffusent des films et des vidéos pendant que les gens dansent. Je voulais que l’endroit soit comme le salon d’un pote, un lieu où on se sente bien et en confiance, sans fioritures. Au bar, tu distingues une ou deux bouteilles, pas plus. C’est pas la fête de l’alcool comme dans les gros clubs à néons. Je pense que pour s’amuser, on a pas besoin d’en faire des tonnes et de crier aux gens « Bienvenue dans le temple de la fête, ici vous allez vous éclater la gueule ». C’est pas l’esprit du Robert Johnson. C’est aussi pour ça que l’on est aussi sélectifs dans notre clientèle. Si tu viens pour la musique, pour découvrir des artistes, alors c’est cool, t’es sûr de rentrer, que tu aies 25 ans ou 65 ans. À l’inverse, si tu es ivre mort et que tu viens faire n’importe quoi chez nous, alors tu resteras à l’entrée, c’est sûr.

 

« À Berlin, tu te retrouves vite noyé dans la masse. »

 

Comment définirais-tu l’esprit du Robert Johnson ?

Le Robert Johnson est parti d’une idée simple : je voulais créer un endroit où l’on écoute de la bonne musique et où l’on danse. Les deux mots d’ordre, c’était musique et convivialité. Je n’ai pas cherché à courir après l’argent. Il se trouve que ça a plu. Aujourd’hui, le club marche bien, et il est connu partout en Allemagne. Nous avons même notre propre label : Live at Robert Johnson. La plupart des DJs sont résidents mais nous programmons également des nouveautés. Quand c’est le cas, il s’agit souvent de nos propres découvertes : on rencontre des Djs qui nous plaisent, où des potes viennent nous faire découvrir des sons qu’ils ont entendus et qu’ils ont aimé et on les invite à jouer ici.

 

Pourquoi avoir choisi d’ouvrir un club dans la banlieue de Francfort, et pas dans la ville ?

C’est un pur hasard. À la base, l’endroit était le resto d’un club de sport un peu huppé. Un de mes proches est venu me voir un jour en me disant « Ça y est, j’ai trouvé un lieu où tu vas pouvoir créer un club. C’est à Offenbach, à la périphérie de la ville, juste à côté de la rivière. Vas-y pour jeter un coup d’œil ». J’ai appelé, j’ai vu, j’ai aimé et avec mes associés, on a installé notre club là-bas ! Il y a un livre qui retrace toute cette histoire, « Le Robert Johnson Book ». Au départ, on s’est dit que ce serait un vrai défi de faire venir les gens à Offenbach, vu qu’il n’y avait ni métro ni bus de nuit. Encore aujourd’hui, tu es obligé de prendre un taxi ou d’avoir un vélo pour venir. C’est vrai qu’à l’époque, ça a pris un peu de temps pour que les gens s’habituent à la distance. Beaucoup disaient : « C’est trop loin du centre-ville. » Mais on a misé sur une programmation pointue et une bonne ambiance et ça a pris. Aujourd’hui, il y a du monde tous les weekend.

 

Un club, un bar, un resto, tu ne t’arrêtes donc jamais. Ton prochain projet, c’est quoi ?

Justement, c’est l’heure de me reposer un peu. Je songe à quitter l’Allemagne et à partir vivre dans une petite maison du sud de l’Europe, en Espagne ou en Italie. Je rêve d’Ancône, dans la région des Marches. J’aurais mon petit jardin avec un potager, ma femme et mes enfants. Mais même si j’ai très envie de partir, je ne vais pas filer comme ça en laissant tout derrière moi. Il y a encore des choses à faire à Francfort et des gens prêts à faire bouger la ville. Francfort est un microcosme culturel où tout le monde se connait et travaillent ensemble. Du coup, je vais quand même continuer à créer des choses, même si c’est à distance, et ça, c’est génial.