Une odeur de hot-dog et de gâteau au chocolat tout juste sorti du four flotte dans l’air. Quelques jeunes filles en mini-shorts gloussent devant de vieux motards tatoués. Sur la gauche, à travers les vitres de la galerie, on distingue la mèche gominée d’un artiste à nœud pap’ présentant fièrement ses toiles à un parterre de couples BCBG semi-pompette, une coupette de champagne à la main. Quelques mètres plus loin sur le trottoir, une bande de petits blacks sursappés alignent des pas de breakdance devant une foule médusée. Bienvenue à Denver, à la First Friday Walk de Santa Fe, une fête de quartier extra large – taille américaine oblige –, où plus de 5000 personnes se pressent chaque premier vendredi du mois.
« Ne cherchez plus où sortir ce week-end », lance Jeremie, un trentenaire souriant à cravate bariolée, « La First Friday Walk de Santa Fe est le meilleur endroit où se balader un vendredi soir. C’est là que vous allez pouvoir vous mélanger aux habitants de Denver ». L’offre est alléchante. Depuis un an, avec un pote de fac, Jeremie a monté Knotty Tie, un business de cravates en plein cœur de Santa Fe. Notons le subtil jeu de mot salace dont se délecteront les anglophones et saluons l’esprit malicieux des deux jeunes gens. Dans leur petit local au premier étage d’un immeuble du quartier, Jeremie et son pote imaginent et cousent/confectionnent eux-mêmes leurs modèles de cravates. « Pour l’instant, on a pu s’installer ici parce que les loyers restent abordables à Santa Fe. Mais à terme, la gentrifrication du quartier va continuer et tout va devenir de plus en plus cher. »
A l’image de Santa Fe, autrefois fief des laissés-pour-compte et des communautés les plus pauvres de la ville, de plus en plus de quartiers de Denver proches des buildings et des centres commerciaux de downtown voient arriver des flots de jeunes actifs, désireux de devenir propriétaires et de ne pas trop s’éloigner du centre-ville. Conséquence de ces arrivées massives : une hausse des loyers qui rend soudainement intouchables les logements pour les anciens habitants. Décriée par certains, cette gentrification crée une émulation qui permet de voir fleurir un peu partout des événements comme la First Friday Walk, organisée avec l’assentiment de la mairie.
Plutôt tranquille en journée, Santa Fe explose à chaque Friday Art Walk. Le long de Santa Fe Drive, les fixies croisent les Harley Davidson flambant neuves, les mères de famille en mal de sorties nocturnes côtoient les hipsters à grosses barbes et à petites chemises cintrées. Tout ce beau monde se presse dans la quarantaine de galeries d’art ouvertes pour l’occasion. Pour parfaire l’ambiance et le décor, un rue entière est dédiée aux food-trucks, ces camions gastronomiques, aux abords desquels on peut s’assoir dans l’herbe et se délecter d’un taco ou d’un burger dégoulinant de fromage fondu. Qui oserait dire ensuite que Denver est moins à la cool que ses voisines californiennes ?