Quand on arrive, on ne voit que quelques badauds agglutinés autour d’un étang. Tout le monde fixe l’eau. Le temps semble suspendu. Du coup, la tentation est trop forte, et on s’y met aussi. On observe. C’est là que l’on entrevoit quelques ronds dans l’eau. Sensation étrange. Un peu comme dans les films d’horreur où l’on sait qu’il y a quelque-chose-là-bas-mais-on-ne-sait-pas-quoi. Puis tout d’un coup, la meute s’active : cinq pêcheurs descendent lentement le long des berges. Chemise canadienne, veste de chasseur maculée de boue, clope au bec, béret bien enfoncé sur le front, ils s’avancent tranquillement jusqu’à l’étang. Leur matériel se résume à un filet d’une longueur infinie (une « senne » en patois solognot) et une bonne paire de bottes en caoutchouc. Le filet à la main, ils s’enfoncent dans l’eau en décrivant une large boucle et se trempent jusqu’à mi-mollet. Le rythme est si tranquille que l’on n’a pas vraiment l’impression qu’ils pêchent.
Tout à coup, l’eau se met à remuer sec. Les poissons s’entassent dans le fond du filet. Plus lourds, les silures, des gros poissons d’eau douce pouvant atteindre deux mètres de long et soixante dix kilos, s’échouent avant même d’arriver au fond de l’étang. Les bestioles sont des vrais requins d’eau douce et les plus hardis sont même connus pour manger les pigeons qui s’aventurent sur le rivage. Il faut les pousser à la main, les faire avancer comme des gros tas de vase.
Au menu : des brochets, des truites et des carpes royales
Dès lors que le filet est plein à craquer, il n’y a plus qu’à les cueillir à trois mètres du bord. Les pêcheurs mettent directement la main dans la gueule des plus gros. Au menu : des brochets, des truites et des carpes royales. Puis, pour ne rien perdre de leur butin, ils foncent poser les prises sur les tables de tri. La pêche a duré 20 minutes. Les badauds n’y ont vu que du feu.
C’est là que la vente commence. Immédiatement transvasés dans de grands bacs, les poissons moribonds observent la cohue d’acheteurs se presser devant eux. Truites, tanches, esturgeons, gardons : il y en a pour tous les goûts. Rares sont ceux qui demandent du silure. On n’est pas fan de requin d’étang en Sologne.
Loin des « pros », certains visiteurs continuent la pêche en trifouillant dans les ruisseaux, histoire de choper les poissons passés entre les mailles des filets. Même minuscule, pas de salut pour la poiscaille, tout ce qui nage finira dans une assiette. L’oeil rivé sur les bacs, certains achètent quelques pièces pour le déjeuner puis traînent autour du feu de bois pour se réchauffer. Tout ce beau monde se retire ensuite pour aller manger. L’étang ne fait plus de ronds.