Après sa virée dans la démesure du sud, voilà Gizèle en route vers le nord, toujours au volant de son pot de yaourt défoncé. Au-delà de Kapaa, la Kuhio Highway traverse le village d’Anahola, avec son joli croissant sablonneux à quelques kilomètres de la route. Will Smith aurait une maison dans le coin. Ça ne sert à rien de le savoir mais ça fait bien dans les dîners. Quelques kilomètres plus loin, à un carrefour, le Moloaa Sunrise Fruit Stand, une institution locale chaudement recommandée sert d’exquis jus de fruits frais, sandwiches et en-cas. Des papayes plein les poches, reprenez la Highway, poursuivez sur quelques kilomètres. Bientôt apparaît sur la gauche, au détour d’un buisson, un paysage absolument unique : sur fond de montagnes perdues dans les nuages, des prairies vallonnées, d’un vert comme on n’en voit qu’au cinéma, parsemées d’étangs limpides et d’arbres venus du fond des âges. L’endroit pourra rappeler quelque chose aux natifs des eighties et au-delà. Une jeep, un vieillard en blanc, une blonde au short remonté beaucoup trop haut et à la coupe aussi facilement datée années 90 qu’un fossile passé au carbone 14. Ça ne vous dit rien ?
Le film Jurassic Park a été tourné à Kauai
Ces prairies préhistoriques, Steven Spielberg les peupla de brachiosaures broutant les feuilles des arbres dans le premier Jurassic Park, tourné en grande partie sur Kauai. Il n’aurait pas pu mieux choisir, tant l’endroit, renommé depuis Jurassic Kahili Ranch, stimule l’imagination. Le ranch, utilisé dans un tas d’autres films et publicités, ne se visite pas, sauf si vous avez le budget pour tourner une pub pour un 4×4. Redécollez avant l’arrivée des vélociraptors et reprenez la Highway jusqu’à l’entrée de Kilaeua, où une route sur la droite vous conduira sans transition jusqu’à une jolie pointe rocheuse et son phare, îlot tout ce qu’il y a de plus breton dans la mosaïque de Kauai. Reprenez vers l’ouest sur la route principale, qui s’enfonce au milieu d’une végétation de plus en plus géante, jusqu’à une nouvelle surprise au tournant : un pont littéralement suspendu au milieu de la jungle, au niveau de Kalihiwai. Puis une autre : sur la gauche, un point de vue se dégage sur l’envoûtante vallée d’Hanalei située en contrebas, une plaine plate comme la main couverte de champs de taro, cette plante sacrée des anciens Hawaïens venus de Polynésie, produisant un tubercule à la chair violette. Laissez de côté Princeville, qui est plutôt un amas de resorts qu’une véritable ville, pour poursuivre la Highway, qui se transforme en une route en lacets descendant jusqu’à la plaine d’Hanalei. Bien plus charmant, le village d’Hanalei lui-même, posé au bord d’une baie splendide, est le haut lieu du surf à Kauai. Si l’île est moins réputée que ses sœurs Oahu ou Maui pour la taille de ses vagues, le surf y est une religion, comme sur le reste de l’archipel. Sur toutes les plages, des groupes de tous âges posent leurs pick-ups chargés de planches et de barbecues, les deux ingrédients indispensables d’un dimanche hawaïen réussi, et des pères emmènent leurs fils et leurs filles batifoler dans les vagues géantes comme vous lâchez votre petit cousin au jardin d’enfants.
Sur la plage d’Hanalei, dans les pas de George Clooney
Sur la plage d’Hanalei, pas de fantôme de dinosaure, mais celui de George Clooney, père de famille à la dérive qui fait son jogging le long de la baie dans l’excellent The Descendants d’Alexander Payne, comédie émouvante et très bonne introduction pour comprendre le statut à part du « paradis » hawaiien aux Etats-Unis. Après Hanalei, la Highway devient une belle petite route côtière, bordée de plages magnifiques ainsi que d’une végétation exubérante, ponctuée de ponts à sens uniques et qui vient se finir dans les eaux turquoise de la Ke’e Beach. Bien moins sauvage et désolée que la Polihale Beach de la côte sud, la Ke’e Beach compense par son sable blanc et ses eaux bleues de carte postale, paradis du snorkeling où des poissons multicolores viennent vous chatouiller les orteils près des récifs situés juste à côté du rivage. D’ici partent les chemins de randonnée qui emmèneront les marcheurs à la conquête de la partie ouest de l’île, vers la jungle profonde du Na Pali Coast State Park et du Koke’e State Park. Pour les randonneurs les plus expérimentés, il est possible, en plusieurs jours, de boucler la boucle en rejoignant les hauteurs du Waimea Canyon, connecté par la route à la côte sud. Les moins sportifs suivront la randonnée de 13 km qui, au départ de la Ke’e Beach, emprunte le sentier du Kalalau Trail et longe d’abord le début des falaises escarpées de Na Pali jusqu’à la plage de Hanakapiai. Avant de plonger dans ses eaux agitées, jetez un œil au panneau de bois qui, comme sur de nombreuses plages dangereuses d’Hawaii, fait le décompte, par des encoches dans le bois façon calendrier de Robinson Crusoë, des baigneurs morts sur place. Bien plus glaçant que de piquer une petite tête. La randonnée bifurque ensuite vers l’enfer vert de la jungle de Kauaï et mène, à travers les fougères arborescentes et les bosquets de bambou géants, vers le pied de l’arc-de-cercle parfait de la cascade d’Hanakapiai. La baignade dans son bassin, aussi magique que frisquette, est une sublime récompense après les kilomètres de marche.
Et dans cette fantaisie naturelle, une bonne petite douche coup de fouet sous les 91 mètres de la cascade conclura idéalement le road-trip dans la démesure de Kauai. Ses habitants et les autres Américains, soit ceux qui ne portent pas de chemises à fleurs toute l’année, la surnomment la Garden Island, l’île jardin. Tentative désespérée de dompter l’indomptable, tant cette île minuscule et extrême du bout du monde fait se sentir tout petit, tout jeune et tout modeste, par rapport à son immensité. Même quand on a un gros 4×4.