Inde : Star d’un jour à Bollywood

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« You want to play in Bollywood movie ? » A peine le temps d’allumer le ventilateur d’une chambre surchauffée d’un hôtel à backpackers de Bombay, de sécher désespérément l’appareil photo noyé par une mousson démentielle et d’apprécier le dépaysement de l’accent haché indien, qu’il se passe déjà quelque chose d’incompréhensible. « In India, everyting (sans h) is possibeul, my friend. » Même de se faire proposer un rôle à Bollywood par un réceptionniste d’hôtel. « Yes, yes, Bollywood. » Ben ouais, d’accord. Évidemment.

 

Lendemain matin. Deux heures de trajet en minibus dans les embouteillages colossaux, le long des bidonvilles et des villas, des immeubles à perte de vue, parmi les femmes en sari, les femmes en tailleur chic, les femmes en haillons, dans les klaxons, les cris et les scooters qui pétaradent. Deux heures dans l’infernal, sublime et insensé cocktail mouvant de couleurs et de bruits que constitue Bombay pour le voyageur novice du « sous-continent », comme on dit, à peine débarqué de l’avion et dont les yeux n’ont pas encore bien fait le point. Jusqu’au bout du bout de la banlieue, au bout d’un chemin de terre défoncé. Jusqu’à un hangar. Bienvenue dans la deuxième usine à rêves du monde. Et la première en nombre de films produits par an. Un Hollywood en beaucoup plus épicé.

 

« À Bollywood, on ne joue pas, on ne surjoue pas non plus, on sursurjoue. »

 

Dans le hangar labyrinthique, qui s’avère donc être un studio, apparaît, au milieu des techniciens en pleine sieste et d’un joyeux bordel de projecteurs et de câbles, un décor d’aéroport européen en carton-pâte. Comptoir brinquebalant, moquette passée, casquettes de pilotes attendant le tournage sur des portemanteaux, et posters exotiques (vu de Bombay) aux couleurs fanées. Tour de Pise, Tour Eiffel, Tower Bridge. L’Europe, quoi.

Au milieu du plateau, un acteur cinquantenaire, moustachu et sûr de son talent, dont l’air mégalo ferait passer Alain Delon pour un type abordable, explique son boulot à un réalisateur surexcité. Qui préfère du coup juger que c’est le moment d’expliquer aux figurants fascinés, et nettement plus malléables, non pas dans quel film ils jouent (en fait, on apprendra plus tard par accident que c’est un épisode de série télé), pas non plus de quelle façon ils doivent tenter de jouer, encore moins la teneur du scénario, mais grosso modo ce qu’ils doivent faire. « You stand there, and you walk this way. And you, same. You two, you chat together. You, you walk this way with your luggage trolley, the actor will stop you to ask you what time it is, you say nothing but you act like you don’t know. » L’Actors Studio pour les Nuls.

« And … aaaaction ! » Expressions faciales exubérantes, sourcils en folies, gestes d’une ampleur digne de ceux d’un vendeur de mixers sur un marché. A Bollywood, on ne joue pas, on ne surjoue pas non plus, on sursurjoue. Du moins dans des productions cheap comme celle-ci.

 

« Les figurants jettent pour la première fois un coup d’œil au plafond, et le regrettent aussitôt. »

 

Les scènes s’enchaînent, toujours peuplées des 15 mêmes figurants. Quand d’un coup, VLAM ! C’est une bouteille d’eau pleine et débouchée qui est tombée du ciel, parmi les gens, le décor et les caméras hors de prix. Les figurants jettent pour la première fois un coup d’œil au plafond, et le regrettent aussitôt. Au-dessus de leurs têtes d’Occidentaux angoissés, habitués aux normes de sécurité et à tout un tas de choses qui n’ont pas cours de ce côté-ci de l’Himalaya, s’enchevêtrent des passerelles douteuses et des projecteurs mal attachés, peuplées par des techniciens, dont un se fait incendier par le réalisateur depuis le sol. Il refera tomber sa bouteille un quart d’heure plus tard.

 

Bientôt la fin de la journée de tournage. L’épisode est plié. Chaleureusement félicités un à un par l’Alain Delon du Maharashtra (l’État de Bombay), les Occidentaux quittent Bollywood avec des étoiles plein les yeux, mais toujours sans la moindre idée du scénario ou du nom de la série. Une fois assis sagement dans le bus, un membre de la production défile et tend à chacun quelques biftons froissés représentant le premier cachet d’acteur de sa vie : 900 roupies. Soit 10 euros.  Bienvenue dans le star-system de Bollywood, terre de tous les « possibeul ».

 

 

 

Destination : Inde | Rubrique : Le Grand baz'Art

Tags : bollywood - bombay - cinéma - figurant - film - inde

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