Québec : Le canot à glace sur le Saint-Laurent, un sport de doux dingues

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  • 1/14 Prêts au départ, Canot à glace

  • 2/14 La trot' sur la glace, au Québec

  • 3/14 En pleine phase d'attente, canot à glace

  • 4/14 L'attente, dans le grand blanc

  • 5/14 Canot à glace, sur le Saint-Laurent

  • 6/14 Philippe l'avant, à la rame

  • 7/14 La fameuse trotinette, canot à glace

  • 8/14 La glace du Saint-Laurent, Canot à glace

  • 9/14 À la rame sur la Saint-Laurent, Canot à glace

  • 10/14 Sur le fleuve à la rame, canot à glace

  • 11/14 Le plongeon de Félix dans l'eau, Canot à glace

  • 12/14 L'arrivée bien méritée, canot à glace

  • 13/14 Dans les glaces du Saint-Laurent, canot à glace

  • 14/14 Le fleuve Saint-Laurent, Québec

Il y a d’abord ceux qui rigolent, l’air surpris. « Vous voulez vraiment que je vous dépose au bord du fleuve, là ? », demande le chauffeur de taxi au moment de payer. Il y a les inquiets – vos parents –, qui vous traitent d’inconscient(e) depuis bientôt trente ans et s’assurent au téléphone, apeurés, la veille du départ : « Tu as bien pris ton coupe-vent, hein ? ». Coupe-vent dont vous savez pertinemment qu’il ne vous sera d’aucune utilité dans le grand blanc québécois, là où le thermomètre flirte avec les – 30 °C et là où ce qui comptera, ce sera plus l’imperméabilité de la combinaison en néoprène quadruple épaisseur que votre K-Way© acheté en promo il y a 10 ans. Et puis, il y a les admiratifs, les rêveurs, ceux et celles pour qui la vue d’un iceberg vaut toutes les photos de paires de seins ou de pectoraux du monde. Les givrés du froid, les fous de l’aventure, ceux dont les yeux se rempliront d’étoiles polaires le jour où vous leur raconterez que oui, vous avez remonté le fleuve Saint-Laurent en canot à glace. À Québec. En plein hiver. Sans oxygène. Et sans engelure. Et que vous y avez pris du plaisir, en plus. Et bim, voie lactée.

 

Après une longue séance d’habillement et une nécessaire simulation des gestes à accomplir une fois sur l’eau, vous voilà parti pour une heure de canot sur le Saint-Laurent. Les accompagnateurs, ceux qui sont tombés dans le canot quand ils étaient petits, poussent prudemment l’engin de 8 mètres sur la glace jusqu’au bord du fleuve. Ils ont prévenu les débutants : « Le canot à glace est un sport excessivement technique », explique Caroline, la barreuse. « Il faut vraiment se comporter comme une équipe. Chacun a son rôle, qu’il faut arriver à tenir malgré les conditions extrêmes. » Vous frissonnez d’appréhension dans votre néoprène. Ils sont trois à maîtriser la bête, vous êtes deux à n’y rien comprendre.
À 1,5 kilomètre de là, on aperçoit l’autre rive, perdue dans le brouillard. Philippe, l’avant qui conseille le barreur pendant la course, se poste soudain au sommet d’un bloc de glace pour scruter l’horizon. Il attend le moment propice, celui qui verra les accompagnateurs littéralement bondir à l’intérieur de l’embarcation pour lancer le canot à contre-courant sur le Saint-Laurent. Une fois la plaque de glace– véritable rampe de lancement – en vue, l’ordre est donné. Philippe lance dans un accent québécois à couper au couteau : « On va prendre la plaque qui arrive dans trente secondes, tenez-vous prêts à pousser le bateau et à vous mettre à ramer. Attention, c’est parti ! ».

 

Vous vous sentez comme un glaçon dans un verre de mojito

 

Toute confusion dehors, en bon petit soldat, vous vous jetez à corps perdu sur vos rames, oubliant le froid qui vous étreint et le blizzard qui vous empêche de parler. Vous ramez comme un galérien. La glace craque tout autour de vous. Philippe, Félix et Caroline, plus habitués que vous à ce genre de promenades de santé, vous enjoignent de ramer à leur rythme, en cadence. Vous êtes perdu(e). Vous vous sentez comme un glaçon dans un verre de mojito : ballotté(e) de tous les côtés. Caroline, la barreuse, crie soudain « Hop avant ! ». Vous vous retournez pour comprendre ce qu’elle raconte, perplexe. Vous vous rendez compte que l’avant à qui elle parle, c’est vous. Il est temps de changer de position, d’effectuer ce que l’on appelle dans le jargon une « transition », en clair de passer de la rame à la trottinette. En rythme avec l’équipage, vous vous mettez donc à faire « la trot’ » de toutes vos forces. Le geste paraît totalement insensé pour un sport qui se pratique sur un fleuve. Il consiste, une main accrochée à l’embarcation, à racler l’eau avec ses crampons et à s’aider des blocs de glace et de sa jambe pour faire avancer le canot. Tout à coup, le port des protège tibias s’avère être une question de survie.

 

Félix plonge dans une eau à 0,4 °C

 

Une fois la plaque suivante atteinte, vous hissez le canot sur la glace, pour savourer quelques minutes de repos bien mérité. Le silence se fait, seulement ponctué du bruit de la glace qui se craquèle. L’équipage et la frêle embarcation se laissent alors paisiblement glisser dans le courant du fleuve. Le sourire aux lèvres, tout le monde reprend enfin son souffle, prêt(e) à aller tâter de la glace sur ses deux pieds une seconde ou deux. De l’autre côté de l’embarcation, Félix a mal évalué ses forces et se retrouve plongé dans une eau à 0,4 °C. Il n’empêche, tel Moïse sortant des flots, vous marchez littéralement sur l’eau. Bonheur polaire.

 

Revenu(e) au point de départ, le même rituel se répète. Philippe se poste en éclaireur et flaire la plaque de glace dans le brouillard, Caroline est vissée à la barre et Félix, trempé mais heureux, rame en cadence pour remonter le fleuve. Vous vous sentez à la fois impuissant(e) face à tant de corps si athlétiques et terriblement heureux(se) de naviguer dans le grand froid. Vous vous demandez comment font vos pieds pour rester au sec malgré leur passage sous l’eau. Magie du néoprène. Les yeux perdus dans le vague, face à ces doux dingues du froid, vous avez envie de vous marrer. De hurler de rire dans l’immensité glaciale. Le blizzard vous fait tourner la tête, l’endorphine vous emporte. Vous savourez le grand blanc. Vous vous rêvez canotier(e). Bientôt, il vous faudra recommencer à sauter de plaque en plaque. À ramer et à trotter. « Hop avant. »