Haïti : dans la fièvre de Port-au-Prince, entre rock vaudou et rhum sour

— par

  • 1/12 Mupanah, Port-au-Prince

  • 2/12 Vendeur, Port-au-Prince

  • 3/12 Quartier de Jalousie, Port-au-Prince

  • 4/12 Peter, Portrait d'Haitiens

  • 5/12 Maisons gingerbread, Port-au-Prince

  • 6/12 Port-au-Prince, Haiti

  • 7/12 Porteuse, Port-au-Prince

  • 8/12 Scène haitienne, Port-au-Prince

  • 9/12 L'Observatoire, Boutillier

  • 10/12 Traffic, Port-au-Prince

  • 11/12 Région de Kenscoff, Haiti

  • 12/12 tap-tap, Port-au-Prince

Après un peu plus de 9 heures de vol et un atterrissage sans tour de contrôle, les montagnes haïtiennes nous ont ouvert les bras. Dès le tarmac de l’aéroport de Port-au-Prince, une énorme fleur d’hibiscus s’affiche en 4 par 3 et annonce la couleur en créole haïtien : « Se La Pou’w La ». Comprendre : « Vivez l’expérience ». Premier constat : le « ti bizeness », ces marchés ambulants et informels, a envahi les bords de route et rappelle aussitôt l’Afrique. Les moteurs recyclés côtoient les téléphone portables, qui côtoient les tissus, qui côtoient les paons. Haïti serait-elle la perle africaine des Caraïbes ? Tout le reste du voyage corroborera cette première impression.

 

Comme de l’autre côté de l’océan Atlantique, à Port-au-Prince, le trafic est anarchique. « On peut relier un point A à un point B en 15 minutes comme en 2 heures», nous prévient Bobby, notre guide pour le séjour. Pour visiter la capitale, mieux vaut donc laisser sa montre au placard et profiter des (longs) trajets pour observer les « tap-tap », ces taxis collectifs aux couleurs vives et aux noms catholiques : « Full beat, Dieu dispose », « Force de Dieu », « Psaumes 18:33,34 ». On dit d’ailleurs qu’à Haïti, la population est à 70 % catholique, à 30 % protestante et à 100 % vaudoue.

Trafic oblige, pour explorer la ville et tenter de la comprendre, il faut se lever de bonne heure. Qu’à cela ne tienne. Un pain beurre mamcha (une sorte de beurre de cacahuètes) trempé dans un café plus tard, nous voilà en aval d’une des routes qui mènent à Petionville, la banlieue chic de Port-au-Prince. D’ici, on observe les agents de police tenter de réguler l’anarchique circulation. Tout un programme. En marge de ce chaos, le spectacle des porteuses attire lui aussi l’attention. Les récoltes du jour posées sur la tête, elles déchargent les camions arrivés le matin même des montagnes environnantes. Si Port-au-Prince donne l’impression d’une mégapole asphyxiée, grouillante, aux antipodes de nos villes occidentales propres et ordonnées, la vie peut y apparaître aussi réglée qu’un ballet russe. Et les havres de paix y sont légion.

Pénétrer dans le Musée d’Anthropologie suffira à vous en convaincre. Les statues vaudoues et les bouteilles pailletées vévé ne sont peut-être pas étrangères à cette sensation de calme, de luxe et de volupté.  Au cœur de la ville, le MUPANAH (Musée du Panthéon National Haïtien), plus conventionnel et moderne, saura satisfaire votre soif de connaissances sur Haïti. À grand renfort d’« objets ayant appartenu à », on parvient à démêler la chronologie d’un pays marqué par son histoire coloniale. En bout de course, on se délecte des portraits des Présidents accrochés en rang d’oignon.

Un peu plus tard, perdez-vous comme Gizèle dans les méandres du quartier des maisons de bois « pains d’épice », connues sous le nom de « Gingerbread houses ». Les Américains les ont baptisées ainsi en référence à celle du conte « Hansel et Gretel ». La ressemblance est frappante. Ces demeures majestueuses souvent laissées à l’abandon – qui rappellent aussi étrangement la pas si lointaine Key West –, sont aujourd’hui aux mains d’associations qui tentent de sauvegarder ce trésor national. « Nos maisons résistent très bien aux tremblements de terre, mais pas aux termites ! », sourit Bobby.

 

La nuit, l’Oloffson s’anime au son du rock vaudou

 

La surprise de la nuit, c’est à l’hôtel Oloffson, dans une maison Gingerbread, que Gizèle l’a trouvée. L’Oloffson est la résidence des artistes et des journalistes haïtiens et étrangers de passage dans la capitale : une forteresse dans son jus, qui grince un peu, entourée d’une végétation luxuriante. Mick Jagger – parmi tant d’autres – nous a précédé ici. Depuis plus de vingt ans, chaque jeudi soir, la maison s’anime au son du rock vaudou de RAM, le groupe de Richard et Lili Morse, les proprios. Le rituel est rodé : la patronne entre en transe tandis que le patron – chapeau vissé sur sa longue chevelure blanche – se déhanche langoureusement. Pas de doute, c’est l’effet du vaudou et de la bière Prestige que l’on boit au goulot. Le jeudi soir à l’Oloffson est un « classique » et un rendez-vous qu’il ne faut pas manquer. Et si la fatigue et l’excès de rhum sour vous empêchent de rentrer à bon port, il vous suffira de réserver une chambre à l’hôtel pour la nuit. Vous vous réveillerez peut-être les yeux « piche piche », mais vous serez au bord de la piscine. Et votre gueule de bois aura un goût de pain d’épice.

 

Dernière étape du séjour de Gizèle à Port-au-Prince : une échappée en altitude, histoire de voir la ville d’en haut. En créole, Haïti signifie « terre de hautes montagnes ». L’occasion était trop belle de vérifier le dicton. Situé à 900 mètres d’altitude, Boutillier est le lieu de rencard de prédilection de la jeunesse locale. L’Observatoire est romantique et il vous permettra de comprendre combien Port-au-Prince est tentaculaire. En prime, vous apercevrez la mer des Caraïbes. « À Port-au-Prince et dans les montagnes, la majeure partie de la population ne sait pas nager », nous confie Jane (prononcer « Djenny »), fringante grand-mère de 69 ans, propriétaire d’une ferme écologique, située à Kenscoff, encore plus haut dans la montagne. Héritée de son père, un Anglo-écossais haïtien ingénieur de formation, la ferme Wynne fait figure d’OVNI à Haïti. « En 1956, mon papa a vu les problèmes environnementaux arriver. C’était un visionnaire. Il a vite compris le besoin de protéger les espèces végétales indigènes, comme le pin. » Soixante ans après sa création, l’éco-ferme Wynne ressemble à un vaste laboratoire grandeur nature. Une réserve ayant l’ambition de faire aimer leur propre terre aux Haïtiens, dans un souci de respect de l’environnement. L’on y trouve des plans de « frèz », des choux, des bananiers, des pins et des centaines d’autres végétaux. Six salariés et trois bénévoles travaillent ici à plein temps.

Dorival, 34 ans, est l’un des gardiens de ce paradis perdu, un « paysan vulgarisateur », comme il se définit lui-même. Fils d’agriculteurs du coin, un diplôme d’agronome en poche, il essaie de changer les mentalités. Y compris celle de ses parents. « Lorsqu’on a des connaissances comme moi, il faut les partager. » Le chemin est encore long mais Dorival tient fermement sa pelle, déterminé à emboîter le pas à Jane, qu’il surnomme « marraine ». Une marque de respect pour cette femme courageuse et engagée. Généreuse aussi. Si Jane vous estime digne de confiance, elle vous emmènera dans son jardin secret, celui de sa maison. Envahi de bambous, il l’est aussi de petits signes tibétains. Gizèle y a croisé un Bouddha orné de fleurs roses, une guirlande de drapeaux, tout un tas de petits messages zens (« Have a cup of positivi-tea », le meilleur jeu de mot du séjour) et au bout du chemin, une yourte. À l’intérieur, si vous êtes sages, Sarah-Jane, l’une des deux filles de Jane, vous délivrera un cours de yoga.

À la tombée du jour, ragaillardis et reposés par cette virée montagnarde, un ultime arc-en-ciel égayera votre retour à Port-au-Prince. Planté à flanc de colline, face à la bourgeoise Pétionville : le quartier de Jalousie. Un bidonville dont les façades ont été repeintes en vert pastel, rose, bleu layette et jaune citron. « Sweet Micky », le président, a voulu y opposer la beauté à la pauvreté. Une tentative qui en dit long sur la volonté d’Haïti d’aller de l’avant, sans vraiment trop savoir comment.

 

Après quelques jours passés à arpenter la ville, Gizèle peut désormais affiner sa première impression. Oui, Haïti est encore sous perfusion de centaines d’ONG. Mais Bill et Hillary avaient vu juste : on peut voyager à Haïti et en tomber éperdument amoureux. Car si elle est bien la perle des Caraïbes, Port-au-Prince est aussi un diamant brut. Et on ne peut que conseiller aux voyageurs de venir en tirer parti sans chercher à le dénaturer.

 

 

Destination : Haiti | Rubrique : La Vie des autres

Tags : Caraibes - Haiti

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