Est-ce bien raisonnable de signer pour une excursion en minibus à la journée ?

Jusqu’ici vous vous la couliez douce au fin fond de la Grèce. La mer Ionienne était tiède, le touriste aussi rare que la végétation luxuriante. Pour vous la Grèce c’était pas du tout la crise. Mais alors que vous somnolez pour le 8e jour d’affilée sur ce que vous considérez désormais comme « votre » plage, la panique vous étreint par le bikini : la feta est fraîche et les glaçons de l’ouzo ne vous filent pas la tourista. TOUT est parfait. Zéro anecdote pour animer votre soirée diapo ! L’horreur. Il vous faut de l’aventure. Heureusement, à moins d’une heure de route, il y a l’Albanie : un des pays les plus pauvres d’Europe, théâtre de l’une des plus terribles dictatures communistes où la corruption est un sport national. Strike! Parfait pour se refaire un blason de baroudeur.

Grisés, vous signez pour un truc un peu fou : un « tour ». Autrement dit, une excursion d’une journée en Albanie. Mais est-ce bien raisonnable de se lancer dans ce type de balade all inclusive en minibus ?

Top chrono ! Il est 6h30 du mat’ et vous voilà dans l’engin, ambiance auberge espagnole. Le sosie grec de Tony Montana débite des explications à caractère publicitaire dans un micro qui crachotte. Il vous promet mille « bioutifoul » choses à voir. Et surtout une, le Graal : le duty free. Vous vous regardez en souriant, mais vous savez que l’aventure a un prix. Premier stop à la frontière. Quelques chiens errants traînent la patte dans la fournaise, les collines environnantes sont aussi sèches que la bouche d’un fêtard un lendemain de soirée. Votre jardin d’Eden grec vous semble déjà loin. Vous retrouvez le sourire en voyant le paysage défiler à travers les vitres : « On dirait la Mongolie ». Vous n’y êtes jamais allés, ils ne font pas les excursions à la journée, mais qu’importe. Les heures passent. Vous vous dites que l’important c’est le voyage, pas la destination. Mais pour être honnête, vous pensez à la soirée diapo et vous commencez à vous dire qu’à ce train là vous n’aurez même pas de quoi attester de votre virée albanaise.

Premier arrêt : une superbe ville antique. Sauf que des sites antiques, vous en avez déjà vu 28 en Grèce. Vous lui trouvez quand même des originalités. Vos potes acquiescent : « Ah ouais ouais, ça valait le coup de venir jusqu’ici en minibus pour voir ça. ». Vous auriez bien pique-niqué au bord du lac, mais l’aventure et Tony Montana n’attendent pas.

Votre esprit aventurier commence à agacer Tony

Direction une station balnéaire. Las, la visite n’est pas pour tout de suite. On vous emmène vous et vos compagnons de colo sous une véranda géante pour le déjeuner. Vous essayez de vous débiner. Votre esprit aventurier commence à agacer Tony. Vous prenez place entre la famille de touristes polonais et le couple de Norvégiens. Une armada de serveurs adolescents en queue de pie trottinent pour vous apporter vos plats dans le plus grand désordre, sous les cris du maître d’hôtel tyrannique. Ivre de soleil et de clim’, vous engloutissez tout, même la soupe aux légumes brûlante. Le repas est compris dans le tour.

« Temps libre »! Vous demandez conseil à Tony sur les curiosités à ne pas manquer : « There is a lot of bioutifoul shops… » Vous capitulez. Tel un explorateur, vous vous élancez à la conquête de cette ville mystérieuse. Vous allez d’une ombre d’hôtel à une autre. La folie béton semble s’être emparée de la Riviera albanaise. Il fait 37°C et les plagistes travaillent d’arrache-pied à leur mélanome, agglutinés à l’ombre de pelles-mécaniques occupées à creuser une énième résidence hôtelière. Vous êtes ravis, ça change du bon goût grec.

17h. L’heure du bilan de cette excursion all inclusive : vous avez passé 7h25 en terre albanaise. Les deux tiers dans le minibus. Mais vous ne regrettez rien. Non, rien de rien. Vous vous dites que signer pour une excursion all inclusive, c’est un peu comme regarder le teaser d’un film. Soit ça passe, soit ça casse. Ce petit teaser vous a frustré certes, mais personne ne s’est engueulé sur les choix de visite. VOUS N’AVIEZ DE TOUTE FAÇON PAS LE CHOIX. Alors c’est décidé : vous reviendrez pour une traversée de l’Albanie en sac à dos. Vous mêlez un peu de votre sang à celui de vos potes pour sceller cette promesse. (La clim’ ça fait saigner du nez). Quand tout à coup, il apparaît dans le désert : le DUTY FREE SHOP. Tony a les yeux qui pétillent. 45 minutes d’arrêt. Vous vous laissez tenter par des noix de cajou et quelques cartouches de clopes. Ça fera un souvenir.